Flâner entre les murs de corail : premières impressions à Stone Town
Il y a des lieux que l’on explore avec les yeux… et d’autres qu’on ressent jusqu’au bout des orteils. Stone Town, cœur historique de Zanzibar, fait sans aucun doute partie de la seconde catégorie. En débarquant dans cette vieille ville labyrinthique classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, j’ai tout de suite été happé par sa densité : architecturale, humaine, olfactive. Une impression de chaos organisé, où chaque ruelle cache un récit, souvent complexe, parfois douloureux, mais toujours vivant.
Ce n’est ni un décor de carte postale léché, ni une « vieille ville » aseptisée pour touristes pressés. Stone Town, c’est l’Afrique orientale qui parle arabe, swahili, omanais et même un peu indien. Son architecture est un puzzle de cultures. Et ce qui m’a le plus marqué ? Le contraste entre le raffinement des portes sculptées — véritables œuvres d’art — et l’effritement de certaines façades, rongées par le sel et le temps. Ici, on regarde toujours vers l’océan, même dans les ruelles les plus étroites.
Un passé sous tension : mémoire et héritage
Comment parler de Stone Town sans évoquer la traite des esclaves ? Ce pan de l’histoire zanzibarite, trop souvent édulcoré, reste pourtant omniprésent. Une visite du marché aux esclaves, aujourd’hui transformé en mémorial attenant à la cathédrale anglicane, remet les choses en perspective. À la lumière d’un puits d’esclaves reconverti en lieu de mémoire, je me suis retrouvé face à une réalité peu reluisante, mais indispensable à comprendre si l’on veut saisir l’âme complexe de la ville.
Les anciens celliers, où les esclaves attendaient d’être vendus enchaînés, sont restés presque intacts. L’expérience est saisissante. Aucun besoin de grands discours : les murs parlent d’eux-mêmes. Une note sobre mais essentielle dans la partition de cette ville multiple, qui cesse rarement de surprendre.
Les portes sculptées : un livre ouvert sur l’identité culturelle
Parlons esthétisme. Car si l’histoire a ses heures sombres, elle s’inscrit ici jusque dans les détails… et notamment dans les célèbres portes en bois sculpté qui jalonnent les ruelles. Il y en aurait plus de 500 dans toute la ville ! Chacune raconte une histoire : les motifs floraux trahissent une influence indienne tandis que les cadres massifs à pointes de métal révèlent leur origine omanaise — ils symbolisaient à l’époque la puissance et protégeaient des éléphants (oui, même si Zanzibar n’en avait pas).
Petit conseil pratique : prévoyez une visite guidée avec un local passionné. Leur regard permet de décoder des symboles qu’un œil occidental rate souvent. J’ai notamment appris que certaines gravures indiquaient le statut social du propriétaire, voire des affiliations religieuses ou politiques. Un véritable langage des portes, si l’on peut dire.
Un marché au parfum d’épices : Darajani, l’organique en version brute
Envie de rencontrer le ventre de la ville ? Direction le marché de Darajani. Ici, rien n’est mis en scène : le poisson est vendu à même les étals en bois, les sacs de riz débordent, les bananes plantain s’empilent, et les épices rivalisent de senteurs. Gingembre, cannelle, cardamome, clous de girofle — Zanzibar reste fidèle à son surnom d’« île aux épices ».
D’un point de vue alimentation durable, plusieurs aspects m’ont interpellé. Oui, le marché est authentique, ancré dans une agriculture locale encore peu mécanisée. Mais il met aussi en lumière les défis de la chaîne du froid et de la conservation. En discutant avec un vendeur de poisson, j’ai appris que la plupart travaille au jour le jour, sans stockage. Toute l’économie repose sur une logistique immédiate. Pas de gaspillage, certes… mais aussi pas de filet de sécurité.
Côté pratiques d’achat, si vous aimez cuisiner lors de vos voyages et que vous disposez d’une kitchenette (ce qui était mon cas), c’est le lieu idéal pour tester des légumes inconnus ou des racines aux propriétés étonnantes. J’y ai notamment découvert le mboga — une sorte d’épinard local — parfaitement adapté aux currys doux.
Se perdre pour mieux se retrouver : itinéraire spontané
Si vous aimez les sentiers balisés et les explications au pas de course, Stone Town n’est peut-être pas pour vous. Ici, on explore « dans le flou ». Et c’est bien ce que j’ai aimé. Se perdre volontairement dans les dédales de Hurumzi ou Gizenga Street réserve des pépites : un atelier de sculpture, une terrasse improvisée sur un toit, un appel à la prière qui fait vibrer les volets en bois…
En me laissant guider par mon instinct (et en coupant Google Maps, pour une fois), je suis tombé sur une petite cour ombragée où une grand-mère préparait du chapati sur un feu à bois. Trois enfants jouaient près d’une fontaine. Invisible depuis la rue, cet endroit n’apparaît sur aucun guide. Pourtant, il résume tout ce que Stone Town peut offrir à ceux qui acceptent de ralentir.
Manger à Stone Town : entre cuisine de rue et raffinement swahili
L’un des temps forts de mon séjour fut sans aucun doute l’exploration culinaire. Si, comme moi, vous aimez comprendre une culture par sa cuisine, Stone Town est un terrain de jeu incontournable. Et attention : on est loin des standards touristiques sous cellophane. Ici, ça mijote, ça grille, ça frit… avec cœur.
Je vous recommande vivement :
- Le marché nocturne de Forodhani Gardens : certes touristique, mais incontournable. Brochettes de calamars, samoussas croustillants, jus de canne fraîche pressée… Tout est à déguster debout, face à l’océan.
- The Swahili House : une adresse plus posée, avec une belle terrasse sur le toit. Le biryani maison y est excellent, tout comme les desserts au lait de coco.
- La cuisine locale de rue, notamment les « Zanzibar pizzas » — une sorte d’omelette enfermée dans une pâte fine, que l’on garnit selon l’envie : poisson, légumes, œuf, banane… C’est un bonheur simple, cuisiné à la minute.
Et pour ceux qui s’intéressent à l’impact environnemental, sachez que de plus en plus de petites adresses comme Lukmaan Restaurant ou 6 Degrees South intègrent des produits issus de circuits courts ou cultivés sans intrants de synthèse. C’est encore minoritaire, mais le vent tourne.
Choisir un hébergement responsable : entre charme et cohérence
Sur l’île, l’offre d’hébergement durable s’étoffe. À Stone Town même, j’ai séjourné à Kisiwa House, un petit hôtel historique restauré avec soin. Électricité solaire, produits de toilette biodégradables, gestion des déchets organiques : rien de révolutionnaire, mais une démarche crédible, qui ne sent pas le greenwashing.
Autre alternative intéressante : les petits guesthouses gérés par des familles locales, comme Safari Lodge. C’est plus simple, mais souvent très chaleureux. Une belle manière de soutenir l’économie locale tout en restant dans un tarif accessible. Et surtout, on sort de la bulle hôtelière qui peut parfois décontextualiser l’expérience.
Stone Town aujourd’hui : entre résilience et transitions
Stone Town n’est pas figée dans le passé. Lors de ma visite, j’ai rencontré plusieurs jeunes entrepreneurs qui tentent de conjuguer traditions et innovations durables : une tisserande qui relance le coton local, un torréfacteur qui valorise le café de l’intérieur de l’île, ou encore une start-up qui développe des vélos taxis électriques pour désengorger les ruelles à forte densité.
Ces initiatives, encore fragiles et peu visibles, montrent néanmoins qu’un autre modèle est possible. Elles invitent à voyager différemment, non pas en simple spectateur, mais en acteur attentif. Le tourisme, à Stone Town, peut être un levier d’émancipation… s’il choisit bien ses relais, ses hébergements, ses assiettes.
Quelques repères pour un voyage respectueux
- Privilégier les guides locaux certifiés (éviter les rabatteurs trop insistants en bord de mer).
- Respecter les codes vestimentaires, surtout en dehors des zones hôtelières : on est dans une ville majoritairement musulmane.
- Utiliser des gourdes et refuser les bouteilles en plastique (certains restaurants proposent des stations de remplissage gratuites).
- Se renseigner sur les fonds reversés aux communautés locales pour chaque activité choisie.
Visiter Stone Town, c’est accepter de se confronter à un présent marqué par un passé lourd, mais aussi à la beauté de la résilience humaine. Ce n’est pas une ville instantanée ni parfaitement instagrammable — et c’est peut-être ce qui en fait toute la richesse. Elle se découvre lentement, à hauteur d’épices et d’histoires croisées.