L’Albanie, joyau méconnu des Balkans
Longtemps restée dans l’ombre de ses voisines adriatiques comme la Croatie ou le Monténégro, l’Albanie attire aujourd’hui de plus en plus de voyageurs en quête d’authenticité, de paysages grandioses et d’un tourisme différent. Située à la croisée de la mer Adriatique et de hautes chaînes montagneuses, elle a su préserver un rapport étroit avec la nature, offrant à la fois des expériences balnéaires, des randonnées inoubliables et des rencontres sincères. Le tout à des prix encore raisonnables, et avec une marge de progression évidente en matière de tourisme durable.
J’ai eu l’occasion de parcourir plusieurs régions du pays sac à dos sur les épaules, carte papier dans une main et carnet dans l’autre. Voici ce que j’ai retenu, entre observations de terrain, échanges locaux et impressions glanées au fil des kilomètres.
Une côte encore sauvage, du nord au sud
Première surprise : la mer Adriatique en Albanie reste largement épargnée par le bétonnage massif qui a transformé certaines parties de la Méditerranée en autoroutes touristiques. Certes, la ville portuaire de Durrës, à une trentaine de kilomètres de Tirana, fait exception : grands hôtels, plages aménagées, clubs de vacances. Pour un tourisme conventionnel, c’est pratique, accessible et animé l’été. Mais pour qui cherche une plage plus discrète et des eaux cristallines bordées d’oliviers, c’est bien plus au sud que ça se passe.
La Riviera albanaise commence vraiment autour de la ville de Vlorë et s’étend jusqu’à Saranda, juste en face de l’île grecque de Corfou. Entre ces deux points : des villages perchés comme Himarë, des criques turquoise accessibles à pied ou en bateau, et un air de liberté difficile à trouver ailleurs. A Dhërmi, j’ai passé une nuit chez l’habitant dans une maison de pierre rénovée selon des techniques traditionnelles. Eau de source, repas préparé avec les produits du jardin (tomates juteuses, huile d’olive locale, fromage de brebis)… L’hospitalité albanaise n’est pas un mythe.
Montagnes et parcs naturels : le paradis des randonneurs
Si la côte séduit, l’intérieur du pays émerveille. Moins accessible, moins fréquenté, mais bien plus spectaculaire par endroits. Ce sont surtout les Alpes albanaises, au nord, qui valent le détour. Ce massif, qu’on appelle aussi les « Montagnes maudites » (Prokletije), forme une frontière naturelle entre l’Albanie, le Monténégro et le Kosovo. Par beau temps, il offre des panoramas à couper le souffle, des gorges profondes, des forêts préservées. Le sentier qui relie les villages de Theth et Valbonë est devenu une sorte de rite de passage pour les randonneurs en quête d’immersion.
Prévoir au moins deux à trois jours pour faire le circuit à pied (ou en combiné avec le ferry sur le lac de Koman, une merveille en soi). En chemin, refuges tenus par des familles locales, produits du terroir, un encadrement encore artisanal mais sincère. Si on accepte quelques imprévus – comme l’absence de réseau ou un orage soudain en altitude – c’est une aventure humaine et écologique comme je les aime.
Le tourisme durable : entre efforts visibles et potentiel sous-utilisé
Forcément, en tant qu’ancien coordinateur en écotourisme, j’ai prêté attention aux structures engagées dans une démarche responsable. Et il faut être honnête : le tourisme durable en Albanie n’en est qu’à ses débuts. À Tirana, quelques auberges jouent la carte des énergies renouvelables ou du recyclage, mais c’est encore timide.
En revanche, dans les campagnes et les zones reculées, le modèle est déjà là, de manière plus instinctive que programmée :
- Hébergement en maisons d’hôtes, souvent familiales, avec restauration maison et produits du potager.
- Transports inter-villages en minibus partagés ou à bord de 4×4 locaux reconvertis.
- Initiatives de jeunes entrepreneurs pour valoriser les ressources artisanales ou l’agroécologie (miel de montagne, huile essentielle de lavande, etc.).
J’ai visité un petit centre à Permët, dans le sud du pays, où se développe un projet de tourisme communautaire autour des plantes médicinales. Les habitants apprennent à identifier, récolter et transformer les plantes locales, tout en accueillant des visiteurs en quête de séjours immersifs. Initiatives comme celle-ci mériteraient davantage de visibilité et de soutien.
Gastronomie albanaise : simple, ancrée, surprenante
Côté table, l’Albanie ne déçoit pas. Elle surprend même, par la fraîcheur des ingrédients et la variété des influences. Cuisine balkanique, héritage ottoman, inspirations italiennes… les assiettes sont pleines de promesses. On est loin des standards de la chaîne hôtelière.
Voici quelques plats et produits à ne pas manquer :
- Fërgesë : plat mijoté à base de poivrons, tomates, fromage blanc et parfois viande, servi chaud. Réconfortant.
- Byrek : incontournable feuilleté farci aux épinards, au fromage ou à la viande. Parfait pour les petites faims.
- Tavë kosi : agneau cuit au four dans une sauce à base de yaourt, spécialité nationale.
- Et côté sucré, le trilece (gâteau aux trois laits) ou les figues garnies de noix.
On mange très correctement pour moins de 10 euros, même dans des lieux touristiques. Et si vous aimez les vins naturels, plusieurs petites exploitations commencent à travailler sur des cépages indigènes en biodynamie, surtout dans la région de Berat.
Conseils pratiques et itinéraires responsables
Voyager en Albanie demande un peu de préparation, surtout dès qu’on sort des grands axes ou qu’on souhaite limiter son empreinte carbone. Voici quelques recommandations concrètes :
- Transport : l’Albanie ne dispose pas encore d’un réseau ferroviaire développé. Le transport collectif passe surtout par les minibus privés appelés « furgons ». Peu coûteux, ils relient la plupart des villes, mais il faut souvent demander son chemin, car les horaires sont informels.
- Hébergement : privilégiez les maisons d’hôtes labellisées ou membres d’initiatives locales. Le site EcoAlbania propose quelques adresses écoresponsables triées sur le volet.
- Saisonnalité : évitez juillet-août si vous cherchez le calme. Le printemps (avril-juin) et l’automne (septembre-octobre) sont idéaux, tant pour les températures que pour la nature en fleurs ou parée de ses couleurs d’automne.
- Langue : l’anglais est peu parlé hors des grandes villes, mais les sourires compensent. Avoir quelques mots en albanais sous la main fait souvent la différence.
Pour un itinéraire équilibré sur dix à quinze jours : commencez par Tirana, descendez vers la côte sud via Berat, poussez jusqu’à Gjirokaster (ville inscrite à l’UNESCO), explorez les plages de la Riviera, puis remontez par l’intérieur et terminez par les montagnes de Theth ou le lac d’Ohrid.
L’Albanie, un voyage qui a du sens
En ressortant d’Albanie, difficile de ne pas être marqué par la générosité des gens, la beauté intacte de certains lieux, et le potentiel énorme pour un tourisme à visage humain. Tout n’est pas encore parfait, loin de là. Mais l’essentiel y est : du lien, du vivant, du vrai.
À condition de ne pas plaquer sur ce pays des modèles de développement touristique standardisés, mais de partir de ses forces – terre, traditions, accueil – l’Albanie peut devenir un exemple unique en Méditerranée. Encore faut-il, en tant que voyageurs, montrer la voie en optant pour des pratiques sobres, locales et responsables.
Ce pays ne demande qu’à nous montrer ce qu’il a à offrir. À nous d’avoir la curiosité – et le respect – d’aller à sa rencontre autrement.